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Chaque mois, le Mémorial de la Shoah vous propose un entretien avec une personnalité engagée dans la transmission de l'histoire de la Shoah.

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Par Mémorial de la Shoah
12 janv. · 3 mn à lire
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Année 1944 : qu'en est-il de la situation des Juifs de France ?

Pourquoi l’année 1944 marque l’histoire de la Shoah ? Réponse avec Alexandre Doulut, historien et docteur en histoire, spécialiste de l'histoire de la Shoah en France.

Interview d'Alexandre Doulut, historien et docteur en histoire, spécialiste de l'histoire de la Shoah en France.

Mémorial de la Shoah : Pourquoi l’année 1944 marque l’histoire de la Shoah en France ?

Alexandre Doulut : Pour parler de l’année 1944, il nous faut commencer par la fin, c'est-à-dire août 1944 et la libération de la majorité du territoire français (seul le nord-est reste occupé). La Libération interrompt définitivement les déportations et permet à plus de 200.000 Juifs de revivre librement, même si la plupart attendent le retour d'un proche.

Mémorial de la Shoah : Avant août 1944, quelle est la situation des juifs de France ?

Alexandre Doulut : La situation des Juifs en France n'est pas la même partout : à Paris la préfecture de police s'accroche à son refus de rafler les Juifs français mais procède encore à des arrestations individuelles de juifs (français ou étrangers) pour infraction aux lois françaises et allemandes, pour résistance ou activité communiste ou suite à une dénonciation. Dans le reste de l'ex zone nord, les Juifs encore recensés, c'est-à-dire des Juifs français en presque totalité, sont quasiment tous raflés entre janvier et début mars 1944. Dans certaines régions (Bordeaux, Dijon, Poitiers) c'est la police française qui procède aux arrestations, ailleurs c'est la Gestapo. À la fin de l'hiver, il n'y a donc plus de Juifs recensés dans plus de la moitié du territoire, en zone nord : la plupart ont été déportés et un nombre indéfini vit caché. D'une certaine manière, on peut dire qu'en zone nord (sans inclure Paris) la solution finale a été accomplie.

Ailleurs, dans l’ex-zone Sud et dans l'ex-zone italienne, les Allemands constatent qu'ils ne peuvent que compter sur leurs propres effectifs, Gestapo et supplétifs d'extrême-droite pour arrêter des Juifs, d'où des résultats très inégaux localement. Quand le chef régional de la Gestapo préfère mettre la priorité sur la lutte contre la résistance, les arrestations de Juifs sont relativement rares ; quand, au contraire, c'est un fanatique antisémite comme Klaus Barbie à Lyon, les arrrestations se comptent par centaines.

Mémorial de la Shoah : 80 ans plus tard, peut-on dresser un bilan des arrestations et des déportations de l’année 1944 ?

Alexandre Doulut : Au cours de l’année 1944, entre janvier et août, 15.000 personnes sont déportées, soit 20% de toutes les personnes déportées en France depuis le début de la guerre. La moyenne mensuelle des déportations (1.900 par mois) a sensiblement augmenté par rapport à 1943, mais reste bien inférieure à celle de 1942.  La part des déportés de Paris chute. D'une façon générale, à partir de mars 1944, il n'y a plus nulle part de rafle menée par la police à l'échelle d'une ville, d'un département ou d'une région. Par ailleurs les nazis ne disposent pas des listes de recensement des Juifs réalisées par les préfectures. Cela, ajouté à leurs faibles effectifs, réduit leur pouvoir de destruction contre les Juifs. Enfin, au sein de la société française, tout le monde comprend que les Allemands vont perdre la guerre : les Russes se trouvent en Pologne, les Américains en Italie et l’Afrique est libérée.

Mémorial de la Shoah : Comment réagit l’opinion publique quant aux persécutions subies par les Juifs de France ?

Alexandre Doulut : Après février 1943, les Français ne sont plus vraiment attentifs à ce qui arrive aux Juifs, d’autres sujets les préoccupent : le rationnement, le travail obligatoire, le froid, la faim. Rappelons aussi que les Juifs représentent alors même pas 1% de la population française. Les Français s’intéressent surtout aux progrès militaires, à l’imminence de la Libération et à leurs propres difficultés. Tout le monde attend la fin et les Juifs qui constituent une cible notoire de l'Occupant bénéficient du silence tacite de la population locale. 

Mémorial de la Shoah : Qu’est-ce qui change concrètement avec l'arrivée de Joseph Darnand au gouvernement ? 

Alexandre Doulut : Le gouvernement apparaît aux yeux de l'opinion encore plus tenu en laisse par l'occupant. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre au chapitre des persécutions antisémites, la nomination de Darnand n'entraîne pas, sauf localement (dans la région lyonnaise par exemple) une augmentation significative des arrestations par les forces de l'ordre; quant à la milice, c'est surtout contre les maquis et la dissidence que sa franc-garde souhaite en découdre.


Pour aller plus loin :

Rencontre : 1944 – Le dernier chapitre. Parachever la « Solution finale »

🗓 Dimanche 14 janvier à 14h

🎟 Entrée gratuite et sur réservation

📍Mémorial de la Shoah de de Paris

Alors que la défaite des forces de l’Axe ne fait plus de doute, les nazis et leurs collaborateurs s’emploient en 1944 à achever leur projet d’exterminer les Juifs en liquidant les derniers ghettos et en déportant les Juifs hongrois au camp d’Auschwitz-Birkenau. Dans le même temps, les communautés juives nord-américaines et du Yishouv tentent de sauver les derniers Juifs européens. Avec le retour de la guerre en Italie et en France, le IIIe Reich applique à l’Ouest les méthodes forgées à l’Est : des territoires « amicaux » devenus hostiles, des villages sont désormais rasés, des civils exécutés. Enfin, l’année est également celle des premières évacuations des camps avec les marches de la mort à l’été. Tour d’horizon de cette année crépusculaire avec des historiens.

En présence de Tal Bruttmann, historien, d’Alexandre Doulut, historien, et Annette Wieviorka, historienne, directrice de recherche honoraire au CNRS.

Animée par Jean-Marc Dreyfus, historien, université de Manchester (Royaume-Uni), Centre d’histoire de Sciences Po.

Informations pratiques : 

17 rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris

Tél : 01 42 77 44 72

Du dimanche au vendredi de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h